"Petit" post pour un grand film, en mémoire d'une partie mes ancêtres.
Rencontre entre un réalisateur incroyable (Tony Gatlif)
et un artiste poète (James Thiérrée)
le temps d'un film : Liberté
Liberté, un film de Tony Gatlif
* Drame
* Date de sortie : 24 Février 2010
Synopsis :
Théodore, vétérinaire et maire d’un village situé en zone occupée pendant la seconde guerre mondiale, a recueilli P’tit Claude, neuf ans, dont les parents ont disparu depuis le début de la guerre. Mademoiselle Lundi, l’institutrice fait la connaissance des Tsiganes qui se sont installés à quelques pas de là. Ils sont venus pour faire les vendanges dans le pays. Humaniste et républicaine convaincue, elle s’arrange, avec l’aide de Théodore, pour que les enfants Tsiganes soient scolarisés. De son côté, P’tit Claude se prend d’amitié pour Taloche, grand gamin bohémien de trente ans qui se promène partout avec son violon sur l'épaule. Mais les contrôles d’identité imposés par le régime de Vichy se multiplient et les Tsiganes, peuple nomade, n’ont plus le droit de circuler librement : Théodore cède alors un de ses terrains aux bohémiens, désormais sédentarisés. Tandis que les enfants Tsiganes suivent les cours de Mademoiselle Lundi, P’tit Claude est de plus en plus fasciné par le mode de vie des Bohémiens – un univers de liberté où les enfants sont rois. Mais la joie et l’insouciance sont de courte durée : la pression de la police de Vichy et de la Gestapo s’intensifie et le danger menace à chaque instant. Comme ils l’ont toujours fait depuis des siècles, les Tsiganes devront reprendre la route…
Avec : Marc Lavoine , Marie-Josée Croze , James Thierree, Rufus,
Carlo Brandt, Arben Bajraktaraj, Georges Babluani, Bojana Panic
Vidéo France 3 ->
(photos du film et entretien avec Tony Gattlif, ...)
Extrait de l'entretien :
"Comment est née l'idée de LIBERTÉ ?
J'avais envie de faire un film sur l'holocauste des roms depuis que j'ai commencé à faire du cinéma. Mais le sujet me faisait peur. Les Roms que je rencontrais me disaient souvent : "Fais-nous un film sur la déportation des Roms".
Début 2007, participant à un colloque international des Roms à Strasbourg, des jeunes élus roms de la communauté européenne m'ont fait la même demande. Ils me disaient à quel point ils souffraient de ce manque de reconnaissance, de l'ignorance des autres vis-à-vis de leur propre histoire.
Je ne voyais pas comment faire ce film, moi qui suis un cinéaste qui aime la liberté de la caméra, comment respecter les règles d'une stricte reconstitution. Et je reculais de peur de mal faire en réalité.
Et puis un jour, j'apprends que Jacques Chirac va rendre hommage aux Justes en les réunissant au Panthéon. Je me suis dit : on va enfin savoir si certains Justes ont sauvé des Tsiganes. Malheureusement ils n'étaient pas présents. Je me suis mis à les chercher.
J'ai fini par trouver une anecdote de quelques lignes : "Le destin d'un dénommé Tolloche fut particulièrement tragique. Interné à Montreuil- Bellay, il réussit à se faire libérer après avoir acheté, par l'intermédiaire d'un notaire, une petite maison à quelques kilomètres de la ville. Incapable de vivre entre quatre murs, il reprit la route pour retourner dans son pays d'origine, la Belgique. Il fut arrêté dans le Nord et disparut en Pologne avec ses compagnons d'infortune".
C'est le destin de ce Tolloche qui a pris tous les risques pour sauvegarder sa liberté qui m'a décidé à faire ce film. Et puis il y a ce Juste, un notaire, qui lui aussi a pris tous les risques pour tenter de le sauver...
(...)
Comment avez-vous écrit Liberté ?
J'ai écrit la première trame du scénario en un mois. Je me suis libéré du poids que je portais depuis longtemps. Tout est devenu clair lorsque j'ai compris que je ne pouvais raconter cette histoire qu'à travers deux Justes. Théodore, un maire et vétérinaire de village et Mlle Lundi, l'institutrice. Les deux m'ont été inspirés de personnages qui ont existé : Théodore, le notaire qui a tenté de sauver Tolloche et sa famille et Mlle Lundi d'après l'histoire vraie d'une institutrice, Yvette Lundy, qui travaillait à Gionges dans la Marne. Résistante, elle fut arrêtée puis déportée. Elle m'a aidé à travailler toutes les scènes qui concernent son personnage et l'école.
Je me suis aussi beaucoup servi de mon histoire personnelle et de gens qui m'ont aidé dans mon enfance et ma jeunesse : mon instituteur, mes éducateurs, ma professeur d'art dramatique. Je connais bien les Roms de tous les pays, je sais comment ils sont. Entre aujourd'hui et 1940, ils n'ont pas changé. Je n'ai eu aucun mal à les décrire. J'ai reconstitué une famille tsigane, qui traverse l'Europe et qui a été coincée en France par la guerre. Pendant un an, j'ai travaillé sur cette reconstitution. Les hommes ont laissé pousser leurs cheveux et leurs moustaches. Tous les acteurs ont fait un régime car à cette époque il n'y avait pas à manger. Nous avons construit trois roulottes identiques à celles de 1940. Les Tsiganes nomades ne sont pas quelque part, on ne va pas les chercher. Un jour, ils arrivent au bout d'un chemin au fond d'un bois, on les voit apparaître comme le vent. On ne sait pas d'où ils viennent, on sait juste quand ils arrivent. Pour leur première apparition dans le scénario, je les ai décrits de cette façon. Une fois cette ébauche de scénario terminée, je me suis aperçu qu'il me manquait l'âme tsigane.
L'âme tsigane n'est pas facile à raconter et à faire comprendre. Il n'y a pas de mot dans la langue tsigane pour signifier Liberté. Les Tsiganes n'emploient pas ce mot car ils sont libres. Il fallait que je trouve un personnage qui, à travers sa pureté, sa naïveté, sa fantaisie, sa liberté, ses folies, représenterait toute la communauté rom. Ce fut Taloche. Il m'a fallu ensuite près d'un an pour arriver au scénario final. En écrivant ainsi, j'ai du même coup approché les raisons du silence qui entoure Samudaripen (le génocide des roms). Les Tsiganes ont peur des fantômes. Lorsqu'ils entrent dans une cave, ils en sortent en courant de peur d'y croiser des revenants. Taloche est ainsi : il a peur des morts. Que s'est-il passé à la fin de la guerre, lorsque les Tsiganes ont compris que des centaines de milliers d'entre eux avaient péri exterminés ? Ils ont eu peur de ces morts, peur de les réveiller, peur qu'ils reviennent. Peur d'en parler, en définitive. Aujourd'hui c'est fini, mais cette crainte a existé jusque dans les années 80.
(...)
James Thiérrée, qui joue le personnage de Taloche, n'est pas rom...
C'est exact. Pour ce rôle, je voulais un musicien, quelqu'un qui soit à la fois capable de jouer de la musique, de monter aux arbres et d'en tomber. Sans tricher... Impossible a priori de trouver un tel acteur. Et puis un jour, j'ai vu James au Théâtre de la Ville à Paris. Je n'avais jamais vu ça. J'étais impressionné. C'est l'acteur dont je rêvais pour ce rôle.
N'étant pas rom, il a fait un travail énorme pour l'être. Pendant six mois, il a appris à parler la langue rom, à jouer de la musique tsigane et surtout à se laisser posséder par la liberté de Taloche.
(...)
En voyant le film, on est frappé par votre volonté de casser les clichés, même si la représentation des roms que vous faites est très précise.
Dans LIBERTÉ, j'ai cherché à démythifier certains clichés. Par exemple pour la musique, il y a cette scène où on les voit donner un concert à... des poules ! Je me suis amusé de ce cliché bien que la musique, dans les films et concerts, ait contribué à faire aimer et accepter les Tsiganes.
Je voulais les montrer tels qu'ils sont, par exemple maquignons, forgerons, musiciens. Et s'ils refusent que leurs enfants aillent à l'école c'est de peur qu'ils ne perdent leur âme.
La scolarisation des enfants roms, c'est le problème majeur encore aujourd'hui. Dans LIBERTÉ l'école est un lieu central. Sauf que s'ils veulent bien y aller, c'est à la condition que les enfants soient payés car ils considèrent que c'est un travail. Finalement, ils décident quand même de s'y rendre mais c'est avant tout pour manger, pour profiter de la distribution de gâteaux que fait l'institutrice, Mlle Lundi. D'ailleurs, une fois leur portion avalée, ils déguerpissent
(...)
Et avec James Thiérrée ?
Je lui racontais souvent des anecdotes roms que je connaissais pour "l'habiter". Je voulais que Taloche ait des antennes, qu'il sente le danger. Comme les oiseaux qui sentent l'orage arriver. James est comme ça, animal. Un exemple : pour une scène de danse, je lui ai écrit une musique de guerre avec des gens qui crient en rom : "Ne tirez pas !", "Arrêtez le meurtre !". Quand James est arrivé et que je lui ai demandé de danser sur cette musique, on avait l'impression qu'il faisait l'amour avec la terre, qu'il était en osmose avec elle. Un animal qui baisait la terre."